L’Image Retrouvée, cure de jouvence du patrimoine cinématographique

Rares sont les laboratoires dont l’unique engagement est de se consacrer à la restauration de films. L’Image Retrouvée fait partie de ceux qui ne se dispersent pas. Amour du travail bien fait, mais surtout amour du cinéma. Portrait du plus cinéphile des labos…

Cinéphile, historique, scientifique… Ainsi pourrions-nous brièvement résumer le travail d’orfèvre de restauration du patrimoine cinématographique mondial auquel on s’emploie à L’Image Retrouvée. Depuis sa création à Bologne en 1990 où la maison mère, L’Immagine Ritrovata, compte aujourd’hui quelque 80 collaborateurs, en passant par Paris depuis 2016 où œuvrent quelque 25 spécialistes, sans compter le bureau de Hong-Kong, et la reprise d’Éclair Cinéma l’année dernière devenue Éclair Classics, les chefs-d’œuvre en péril du cinéma mondial n’ont jamais été entre de si bonnes mains.

Restaurer c’est dialoguer…

À la tête du laboratoire, son directeur, Davide Pozzi. Il estime que la restauration est un dialogue, « un échange entre le laboratoire qui apporte son savoir-faire technique et sa méthodologie, avec les ayants droits et les experts, historiens du cinéma et chercheurs ». Cette couleur philologique de la restauration soutenue par ces derniers contribue « à apporter de la science dans un métier qui compte une grande part de subjectivité ». Une démarche qui, menée à un paroxysme d’exigence, a conduit à la restauration, entre bien d’autres, d’un chef-d’œuvre du patrimoine français pour le compte de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé : La Roue de Abel Gance.

Dans une version telle qu’elle fut voulue par son réalisateur et présentée aux spectateurs du Gaumont-Palace à sa sortie en 1923. Dans la même veine, le laboratoire œuvre actuellement sur un autre « Gance », Napoléon (1927), dont la restauration est suivie par le réalisateur et chercheur Georges Mourier pour le compte de la Cinémathèque française.

Du mécanique au technologique

Pour satisfaire ce haut niveau d’expertise, L’Image Retrouvée a su créer deux départements qui n’existaient nulle part dans le secteur : les départements Chimique et Comparaison des éléments. Si le premier consiste à effectuer « une remise en état mécanique de la pellicule » comme le souligne Davide Pozzi, le second vise à collecter et scanner tous les éléments qui ont contribué à la fabrication d’une version : « Il n’existe pas qu’une unique version d’un film, précise-t-il.

Et d’expliquer : entre une première sortie en festival, une exploitation en salle, ou encore des versions directors’cut, il convient, en accord avec les ayants droits et les historiens missionnés, de choisir quelle version sera à même de contribuer à la mise en valeur du patrimoine et à sa sauvegarde. » Une opération qui consiste à scanner l’ensemble des négatifs caméra — dans le meilleur des cas, et différentes versions existantes ; à détecter s’il existe entre celles-ci des variations de montage, de prises, et déterminer la forme que prendra la version restaurée. « Un exercice qui peut s’avérer devenir un véritable puzzle, » confie Pozzi, évoquant le travail colossal qu’a demandé la restauration de La Roue de Abel Gance (C.f Video https://vimeo.com/539715942/a18f76429a). « Pour notre bureau parisien, nous avons par ailleurs récemment attribué cette tâche de scan à visée comparative à une ScanStation Personal Lasergraphics issue de chez Magic Hour. »

Si la France possède une grande culture de préservation de son patrimoine ciématographique, « certains pays n’ont pas eu cette culture, constate Davide Pozzi. Nous récupérons des pellicules des quatre coins du monde en très mauvaise condition pour lesquelles une remise en état mécanique est indispensable avant d’envisager le passage au scan. » Pour cette raison, il estime primordial d’avoir conservé cette « tradition de la pellicule », à l’instar des quelques laboratoires français à ses côtés.

Il note par ailleurs qu’il n’existe plus qu’un seul laboratoire argentique sur le sol étasunien — à Los Angeles — et que de plus en plus de projets de préservation sont aujourd’hui conduits entre Paris et Bologne…

Respect de l’œuvre

Des étapes manuelles de la remise en état des supports jusqu’à celles assistées par la technologie, outre d’être un bon technicien, tout(e) collaborateur(rice) de L’Image Retrouvée est avant tout « un(e) cinéphile averti(e) et fin(e) connaisseur(euse) des techniques de tournage ». Un prérequis essentiel, selon le directeur du laboratoire, nécessaire pour satisfaire toutes les étapes du workflow de restauration. « Si nous nous efforçons de restaurer le plus scientifiquement possible, historiquement et qualitativement à travers nos équipes, c’est indéniablement en complétant leurs compétences par les choix de chromie, d’éclairage et de grain initiaux faits originellement par les réalisateurs et chef-opset non au travers de notre subjectivité du moment, » insiste Davide Pozzi.

Des préceptes qui prennent tout leur sens lors de l’étalonnage des films en restauration issus des quatre coins du monde, et dont les auteurs sont par nature de cultures diverses. Pour illustrer son propos, Davide Pozzi explique : « l’« œil » extrême-oriental ne conçoit pas la « couleur » de la même façon que son homologue occidental. Restaurer un film chinois ou hongkongais des années 70 et étalonné selon les canons occidentaux d’aujourd’hui n’a donc aucun sens ».

Une philosophie résolument en phase avec les missions culturelle et de sauvegarde du patrimoine cinématographique de toute cinémathèque — de Bologne à Paris (Cinémathèque française), de Hong Kong à Tokyo, de Mexico à Buenos Aires… – clientèle historique de L’Image Retrouvée. Mais aussi avec celles des fondations telles la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, ou les Film Foundation et World Cinema Projet de Martin Scorsese aux États-Unis. Et dans une démarche de valorisation de leurs catalogues, des studios et ayants droits tels Gaumont, Studio Canal, Sony, Paramount, Criterion, Fortune Star ou Celestial Pictures, sont venus remplir les rangs de cette clientèle en quête d’idéal…

Ainsi, tous font désormais confiance à L’Image Retrouvée, Éclair Classics ou L’Immagine Ritrovata. Un juste retour des choses, entre cinéphiles, pour la sauvegarde du patrimoine, mais aussi pour le bonheur des spectateurs…


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